Les botanistes explorateurs, aux origines de la botanique moderne
Les botanistes explorateurs font partie de l’imaginaire de tout amoureux des plantes tropicales. Avant de vous en parler, un peu d’imagination.
Imaginez un monde sans avion, sans Internet, sans téléphone, sans moyen de transport plus rapide que le cheval ou le bateau, un monde sans cartes terrestres ou maritimes précises, un monde où l’inconnu attirait au-delà des mers et des océans… Un monde que l’on meurt d’envie d’aller explorer, avec les risques inhérents inévitables, mais également avec ses promesses, rêves, découvertes et richesses potentielles… L’humain ne pouvait longtemps rester entre ses frontières étouffantes, et l’appel du large a vite pris le pas sur l’univers environnant sécurisant !
Le XVIIIème siècle est le siècle le plus foisonnant en matière d’explorations et de grandes expéditions à la découverte du monde. Et qui dit découverte de nouveaux continents, dit découvertes de populations indigènes, de faune locale, et bien entendu d’une flore nouvelle à exploiter !
Les grands botanistes explorateurs
Si l’on vous dit « La Boussole », « L’Astrolabe », « La Pérouse », cela vous transporte immédiatement dans ces grandes expéditions à la recherche plantes rares, tropicales et exotiques… Ces grands explorateurs, tels James Cook puis Jean-François de Galaud (comte de Lapérouse), sont avant tout des navigateurs de la marine militaire et des cartographes réputés. Ce sont les rois d’Angleterre et de France qui mandatent ces grands voyages ; ils souhaitent à la fois découvrir de nouvelles terres, en ramener les richesses potentielles, faire établir des cartes marines et terrestres du globe, et établir de nouveaux comptoirs commerciaux. Les variétés botaniques exotiques les intéressent particulièrement, que ce soit à des fins de recherche et de progrès (médecine, alimentation…) ou de prestige avec la création des serres tropicales et autres jardins d’hiver. Les rois se passionnent pour les plantes exotiques et leur acclimatation dans les jardins européens, souvent au prix de folles dépenses et de voyages interminables. On prête d’ailleurs ces dernières paroles à Louis XVI le jour de son exécution : « A-t-on des nouvelles de monsieur de La Pérouse ? ».
A cet effet, des botanistes explorateurs faisaient partie des voyages, tel Daniel Solander ou encore le célèbre Joseph Banks. Il ramènera des milliers d’espèces inconnues ; le genre « Banksias » sera ainsi nommé en son honneur. Le roi George III lui confiera la direction des sublimes jardins et serres de Kew Gardens, près de Londres, qui sont encore aujourd’hui une référence.
Des espèces qui nous paraissent maintenant courantes ont été ramenées par Banks. En plus du kangourou, citons les différentes variétés de Strelitzias (Oiseaux du Paradis), l’Artocarpus altilis (l’Arbre à pain), les Eucalyptus, les Mimosas, la Canne à sucre, le Lin…
Une réflexion sur l’alimentation commence à se mettre en place à cette époque, ils comprennent par exemple que le scorbut vient d’une carence en vitamines par manque de fruits et légumes frais ; James Cook implémente dans les régimes alimentaires de ses officiers « l’écorce du Pérou », le quiquina, dont le principe actif, la quinine, permet de lutter contre cette maladie.
Les Herbiers, le grand legs des botanistes explorateurs
Pour les explorateurs botanistes, ramener les plantes exotiques récoltées à bon port n’était pas chose aisée car les missions d’exploration pouvaient durer de nombreux mois ! Lorsqu’elles étaient ramenées à des fins de recherche, le plus simple consistait à les faire sécher, à l’horizontal entre deux feuilles de journaux ou de buvards, avec un support lourd posé dessus afin que la plante sèche bien à plat. Idéalement, la récolte de la plante devait être la plus exhaustive possible et comprendre feuilles, tiges, branches, racines, fleurs et fruits. Une fois de retour, la plante pouvait être correctement identifiée et collée sur une feuille de papier, que l’on nomme une planche. Les collections de planches forment les herbiers, aussi appelés jardins séchés. Elles sont l’équivalent des animaux empaillés pour l’étude de la faune.
Les planches étaient souvent réalisées en plusieurs exemplaires, ce qui permettait d’envoyer ses découvertes aux autres botanistes et autorisait ainsi des avancées scientifiques collaboratives plus précises et plus rapides. Carl von Linné (1707 – 1778) a joué un rôle décisif dans l’identification et la classification du vivant. Il met en place un système de nomenclature en genre et espèces, toujours utilisé de nos jours.
L’essor d’abord de la photographie au XIXème siècle, puis du monde digital aux XXème et XXIème siècles ont rendus obsolètes l’utilisation des herbiers. On peut déplorer la perte de poésie d’une image numérisée par rapport à une jolie planche d’herbier, annotée d’une belle plume à la main ! Mais les herbiers étaient fragiles, pouvant facilement être détruits par les ravageurs, les inondations, les feux, une hygrométrie mal maîtrisée…
Mais les herbiers n’ont pas perdu toutes leurs lettres de noblesse, et outre leur valeur patrimoniale et affective, ils permettent de remonter dans le temps et de pouvoir retracer certains évènements. Ainsi, récemment, une équipe scientifique a réussi à extraire de l’ADN de bactéries qui avaient infectés des feuilles d’agrumes conservées dans un herbier ancien. Ils ont comparé le génome obtenu avec des génomes actuels de la bactérie et ont pu reconstruire l’histoire et la progression de cette maladie.
Les planches que nous pouvons voir dans nos musées actuels, tel le Muséum national d’Histoire Naturelle à Paris, sont toujours celles de ces lointaines époques !
Le rôle des explorateurs botanistes
Les naturalistes sont les spécialistes des sciences naturelles, qui regroupent l’étude des minéraux, des animaux et des plantes. Les naturalistes spécialisés en plantes se nomment les botanistes. La botanique prend de l’ampleur au XVIIIème siècle, devient une discipline à la mode, et pour beaucoup de naturalistes, la science reine de l’histoire naturelle.
Les botanistes sont chargés de collecter les spécimens de plantes, de les examiner, les décrire, les inventorier et les classer, les conservant sous forme d’herbiers ou en les dessinant. Les botanistes sont aussi chargés d’identifier les plantes utiles à l’homme et qui pourraient recouvrir un potentiel économique important.
Ils ont aussi pour rôle d’acclimater les plantes arrivant vivantes, aussi bien les plantes à usage ornemental que celles utilitaires comme les plantes comestibles. Des jardins et serres royaux sont créés, comme le Jardin des plantes de Paris ou le Jardin botanique de Kew en Angleterre.
Utilité des plantes ramenées des expéditions botaniques
Les plantes comestibles
Les végétaux ramenés ont tout d’abord attiré l’attention par leur côté gastronomique. Découverte de nouveaux légumes, de nouveaux fruits, et bien entendu la fascination pour les épices… Mais également l’enthousiasme pour le thé, le café et le chocolat, que nous aurions du mal à imaginer exclus de nos vies actuelles…
Les plantes utiles
Mais les plantes offrent de nombreuses vertus autres que gustatives : les plantes médicinales pour soigner, le coton pour le textile, les plantes tinctoriales pour les teintures (Roucou, Henné, Curcuma , Noni, Tamarinier…) mais aussi la découverte du tabac…
Les plantes ornementales
Les jardins à la française prennent leurs lettres de noblesse, leur architecture structurée et leurs parterres géométriques nécessitaient de nombreuses plantes ornementales. Les rois notamment, mais aussi les aristocrates et riches propriétaires se passionnent pour la découverte de nouvelles essences, de nouvelles couleurs, de nouvelles fragrances venant de l’autre bout du monde. Les orangeries accueillent désormais des collections d’agrumes.
On créé également les jardins botaniques, qui permettent de faire découvrir au public moins fortuné ces variétés tropicales et exotiques.
En conclusion, les hommes ont toujours vécu avec les plantes et ont toujours besoin d’elles. Nourriture et médecine, évidemment, mais aussi fabrication d’outils, d’instruments de musique, ou encore contribution à l’oxygène que nous respirons… Chaque époque a connu ses moyens d’investigation du monde végétal, des plus expérimentales aux plus scientifiques. Mais encore aujourd’hui, même si nous n’en sommes plus aux explorations aléatoires en bateau et aux herbiers comme mode de conservation, les végétaux ont beaucoup à nous apprendre…